Actualité 29.08.2014

« Parc Benoît-Bégin: hommage à un urbaniste et à une profession"

PARC BENOÎT BÉGIN : HOMMAGE À UN URBANISTE ET À UNE PROFESSION

Mathieu Régnier
25.08.14

Le 4 juin dernier, la Ville de Trois-Rivières rendait hommage à un homme de vision qui n’a jamais eu la langue dans sa poche : Benoît Bégin, architecte de paysage et urbaniste.

Benoît Bégin est un pionnier de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et de l’architecture de paysage au Québec. Trois domaines connexes trop souvent considérés en vase clos selon lui : « Trois domaines qui devraient mieux s’arrimer pour assurer un développement intelligent du territoire ». En baptisant un parc en son nom pour reconnaître une carrière exceptionnelle, la Ville de Trois-Rivières rendait aussi hommage à une profession qui devrait, à l’instar de l’homme de 92 ans, occuper une plus grande place dans le débat public.

Cette décision de la Ville de Trois-Rivières est particulièrement bienvenue. On donne des noms de poètes et de politiciens aux lieux publics, mais on oublie trop souvent les tisserands de nos rues et espaces urbains : les urbanistes et les architectes paysagistes. Voilà ce qu’expliquait Jean Fournier, de la Société royale de géographie du Canada, neveu de M. Bégin et initiateur de l’hommage rendu.

Dans « Aménagement et urbanisme au Québec » (2014), André Boisvert dédie un chapitre complet à Bégin. L‘auteur recueille dans cet ouvrage des témoignages de pionniers de l’aménagement du territoire depuis la Révolution tranquille. Il dresse ainsi une histoire impressionnante de l’évolution de la profession. Le témoignage de Benoît Bégin arrive en tête de ceux répertoriés dans le livre de Boisvert, qui tenait à être présent le 4 juin dernier. Il faut dire que Bégin est un patriarche! Professeur titulaire à l’École d’architecture et à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal des années 1950 aux années 1980, Benoît Bégin fonde son bureau-conseil en 1952. Il nous l’assure avec humour : « Il n’y avait pas beaucoup de compétition à cette époque » !

Son mémoire de maitrise s’intitule « A Master Plan for Trois-Rivières, Québec ». Benoît Bégin le soumet en 1950 à l’Université Cornell aux États-Unis, et, comme le rappelle Paula Meijerink, directrice de l’école d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, à cette époque, la plupart des architectes paysagistes québécois faisaient leur apprentissage chez nos voisins du sud. « Avant 1968, année à partir de laquelle le baccalauréat en architecture de paysage est offert à l’Université de Montréal, il n’était pas possible d’étudier cette discipline au Québec. »

L’événement du 4 juin 2014 indique à quel point la profession est jeune dans une province qui en a pourtant tant besoin. Voilà ce qui ressort des échanges entre les invités à l’hôtel de ville de Trois-Rivières. Parmi eux, des représentants de l’Ordre des urbanistes du Québec, de l’Association des architectes-paysagistes du Québec ainsi qu’un nombre impressionnant d’ex-collègues de Bégin à l’École d’architecture de paysage. En discutant avec eux, on apprend que le ministère des Affaires municipales, l’organisme responsable du développement des villes et villages du territoire – il n’y en a pas d’autres – n’avait pas de budget pour engager un urbaniste à l’époque ou Bégin fonde son bureau! C’est presque hier – début 1950. Que s’est-il passé après? Il a fallu que Bégin se débatte pour aider les universités à enseigner cette discipline. Il en résulte la fondation d’une faculté francophone à l’Université de Montréal. Puis il aura fallu attendre en 1961 pour que l’institution de la montagne accouche d’une maîtrise en urbanisme.

Entre-temps, est-ce que le ministère a agi? « Pas beaucoup » selon Jean-Pierre Bonhomme, premier journaliste au Québec qui s’intéressait – à temps plein vers 1970-1980 – aux questions liées à l’architecture, à l’urbanisme et au développement du territoire. Bonhomme considère que « l’État n’a pas suffisamment donné d’importance à la créativité dans le domaine de la beauté des formes urbaines ou du développement sensible du territoire. » Pour cet ancien journaliste du journal La Presse, le gouvernement a laissé cette responsabilité entre les mains des organismes municipaux, qui ont souvent agi en fonction d’intérêts particuliers. « Il en est résulté un désordre du paysage et de l’habitat qui nuit à la réputation du Québec et j’ai ici des mots plutôt doux en comparaison avec ceux de Benoît Bégin », explique-t-il.

« Monsieur Bégin n’a pas eu la vie facile, raconte Jean-Pierre Bonhomme, les urbanistes-architectes comptaient pour peu. » Paula Meijerink qui était également présente à la cérémonie d’inauguration ajoute à ce sujet que le fait d’inscrire le nom de Benoît Bégin dans le paysage urbain de Trois-Rivières constitue, « de la part de ce conseil municipal, une marque de reconnaissance très bienvenue envers la profession. » D’ailleurs, Benoît Bégin serait le premier architecte paysagiste québécois à se tailler une place dans la toponymie du Québec. Il était temps.

La vie urbanistique n’est pas tellement meilleure aujourd’hui selon Jean-Pierre Bonhomme. « L’État ne surveille pas la mise en application des règles de l’ordre urbain. Et surtout, il semble incapable d’imaginer qu’innover en ce domaine, avec intelligence, vision et sensibilité, soit réellement de son ressort. »

Les pionniers comme Benoît Bégin ont bien du mérite, mais probablement autant de regrets. On le sentait dans son allocution. Bégin, qui était entouré de ses petits-enfants qu’il décrit comme « notre plus bel avenir », a souhaité, tout en remerciant sa ville natale, « un futur meilleur pour nos villes et villages, un futur meilleur pour le Québec. »

NOTE BIOGRAPHIQUE

Né à Trois-Rivières en 1922, Benoît Bégin a ouvert un bureau dans sa ville natale en 1953, comme consultant en urbanisme et en architecture du paysage. Il a œuvré pour des villes comme Lac-Mégantic, Nicolet, Cap-de-la-Madeleine, Shawinigan-Sud et pour Trois-Rivières, à partir de 1957. Chez nous, on lui doit un plan directeur et un rapport d’accompagnement de 2 volumes de 417 pages, qui balisait l’avenir de notre ville : le tracé des autoroutes, la consolidation du centre-ville, la création de nouveaux quartiers résidentiels, un mail piétonnier pour la rue des Forges, les annexions, les zones industrielles, etc… On proposait aussi une place pour l’urbanisme dans la structure administrative de la Ville.

À la retraite depuis 1988, M. Bégin est membre émérite de l’Ordre des urbanistes du Québec, fellow de l’Institut canadien des urbanistes, fellow de l’Association des architectes-paysagistes du Canada, membre honoraire de l’Association des architectes-paysagistes du Québec et récipiendaire de la médaille du Mérite de l’Ordre des urbanistes du Québec.

Situé dans l’extension de Normanville à Trois-Rivières, entre les rues des Frênes et des Peupliers, le parc Benoît Bégin

Source : Ville de Trois-Rivières.”

(*) Les propos mentionnés dans la section « Chroniques » de Kollectif n’engagent que son auteur.
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